Elle est la multiple, tout à la fois spectatrice, témoin privilégié de notre temps, actrice, sujet et objet de la fable dans laquelle, en héros, elle affronte avec humour et fermeté des personnages tous plus étranges et singuliers les uns que les autres. Ils sont un peu nous mêmes et nous sommes eux. Elle est cette conteuse pédagogue, poétique et drôle de mille histoires rocambolesques, cauchemardesques et pathétiques.

Investie d’une mission toute spéciale. Ana, caissière, scrute un à un tous les monstres de son quotidien, clients, collègues et employeurs, avec lesquels elle se bat et se débat. Comme pour tenter de retrouver l’humain caché derrière l’opacité des égos et de la bêtise, elle fait l’état des lieux, par le prisme de sa caisse, d’un monde tout étriqué et stupide, figé par ses règles du pouvoir et l’absurdité de ses rapports de force. Comportements rigides qui nous isolent et qui nous tuent. Tel un Don Quichotte, elle se lance dans une lutte acharnée contre la médiocrité.

Actrice malgré elle d’une journée sans fin. Les jours paraissent identiques aux précédents tant leur organisation est figée, idiote et inhumaine et tant les gestes automatiques de la caissière bafouée et inépuisable se répètent. Comme pour conjurer son sort, elle tente d’analyser les rouages de cette chose ordinaire et néanmoins kafkaïenne que nous appelons la grande distribution. Telle une danseuse ou une funambule, elle jongle non sans danger, avec les aléas comportementaux de ces hommes et ces femmes qui peuplent les rayons de supermarchés.

Elle fait le pari de sublimer avec humour et science ce quotidien des grands magasins, où se croise l’éventail confus de la condition humaine, où chacun et chacune, riches ou pauvres, honnêtes gens et arnaqueurs, idiots de passage ou pénibles réguliers se croisent, se mélangent et se répandent plein d’eux mêmes avec leurs différences, leurs tempéraments et leurs facéties particulières.

Simulacre de la femme-machine. Dans cette véritable cour des miracles, elle est le filtre ou plutôt le réceptacle ordurier des humeurs ridicules, grossières et capricieuses, convenues ou inattendues, qui émanent de ces hôtes éphémères qui viennent s’échouer à la caisse. Elle est cette femme-objet mi femme mi caisse, qu’on ignore, qu’on séduit, qu’on méprise ou qu’on insulte, sorte d’archétype de l’esclavagisme moderne.

Au détour de chacune de ces aventures ou anecdotes, Ana est cette conteuse aux mille facettes tantôt simple femme parmi l’humanité qui témoigne et raconte, tantôt docteur en psycho-socio-anthropologie, comme une sorte de Professeur Rollin au féminin, elle nous avise par le menu de ces bon conseils, truc et astuces.

Chers clients de supermarchés ou simples spectateurs, venez vous allonger sur le tapis roulant de sa caisse. Et nous verrons bien de quel côté de la caissière ou du client Anna vous placera?

La nature humaine trouve son équilibre dans cette égalité toute philosophique et cette justice peu concrète que constitue la dialectique du maître et de l’esclave. La liberté quant à elle, trouve sa consolation dans l’imagination, la création, le rêve et l’humour, premiers atouts des possibles révolutions.

Sébastien Rajon

Mise en scène Sébastien Rajon

Adaptation Vica Zagreba & Sébastien Rajon

Interprétation Vica Zagreba